l'assurance toutes rixes ....

"SCRAC"

Le bruit de l'os qui se brise se répercuta dans le poing d'Alwin qui fut assitôt aspergé d'un liquide chaud et écarlate: le sang de l'autre. Le jeune homme regarda sa victime reculer et s'écraser par terre avec un immense sourire de contentement, celui-là serait chaos pendant un petit moment.

-Ne te mets plus jamais en travers de la route d'Alwin le mercenaire!

Alwin releva la tête, fier comme un coq et s'en retourna vers ses amis. Dans sa zone d'ombre, son coin tranquille Jonas souriait encore de la réplique d'Al alors que Charris partait d'un rire léger et dédaigneux auquel Alwin répondit d'une voix mielleuse:

-Pourquoi ce si tendre et féminin éclat de rire, douce Charris?
-J'aime quand les hommes se battent pour moi!

Les yeux du jeune homme brillèrent un instant d'une flamme de colère froide, touché en plein orgueuil. Pour qui se prenait cette mijorée? Alwin ne se battait que pour lui-même et son propre honneur, vraiment elle avait de ces idées.

-Quel charmant accès de mégalomanie, je n'en attendais pas moins de toi.
-Beau parleur...

Jonas leva les yeux au ciel en affichant un fin sourire, Alwin, quant à lui, partit d'un franc éclat de rire avant de se remettre avec bonne humeur à la tâche, L'homme qu'il avait frappé avait finalement fini par se relever et ne semblait pas d'aussi excellente humeur que les trois compères. Ce dernier brandissait sauvagement une carafe de vin vide qui semblait étrangement désireuse d'aller finir sa vie sur le crâne d'Alwin.

Le jeune homme dégaina le couteau qu'il portait toujours à la ceinture et brisa l'arme improvisée. Des éclats volèrent dans la salle et Al protégea son visage de son bras sans porter grande attention à l'autre idiot qui en profita pour lui balancer son poing dans le ventre.

-Alwin le mercenaire qu'il disait.... Touché, coulé.
-Il est facile de commenter tout en restant parfaitement inactive.

Alwin lui décocha un regard assassin auquel Charris répondit d'un sourire amusé. De dépit autant que de colère, Al se laissa aller à planter son couteau dans la cuisse de l'ivrogne qui non content de se prendre une raclée voulait en faire profiter ses amis. Encerclé par quatre hommes déjà bien imbibés, Alwin commençait à perdre patience; il n'était certes pas bien dur de mettre à terre un homme déjà chancelant de par la vinasse mais il était difficile de prévoir ses coups.

-Ma douce, ma tendre, ma chère amie; serait-il mal venu de requérir ton aide pour en découdre plus vite avec ses vils marauds qui manquent si cruellement de bonne éducation?
-Je laisse les chiens avec les chiens.
-En ce cas, nulle inquiétude, je serai le corniaud qui te bouffera le museau!
-Parle-moins et prend garde à tes poils, il semblerait que l'on veuille te raccourcir.

Le bretteur, surpris, se retourna juste à temps pour esquiver un banc que deux des abrutis essayaient de lui balancer dans la nuque. Leur élan les éntraina tant et si bien qu'ils se retrouvèrent tous deux à terre, couchés sous le banc qui désormais les étouffait. Alwin, railleur, se pencha vers eux avec un immense sourire gamin:

-Eh bien, mes gueux, quel manque d'originalité! Quel manque de classe!

Il en fallait peu, vraiment très peu, non pas pour être heureux mais pour lancer Alwin dans un combat. Un simple ivrogne de bas étage qui avait eu le malheur de tourner trop près de nous avait suffi à l'exciter. Bien sur, on ne pouvait pas dire que Charris n'y était pas pour rien. Elle le vannait, et lui, grand idiot se battait pour prouver un courage et une habileté que nous, ses amis, connaissions déjà.

Cela faisait déjà de nombreuses années que nous voyagions ensemble et je n'avais jamais vu ces deux là s'entendre. Ils auraient pourtant dû trouver des points commun dans leur passion pour les combats, mais au lieu de cela ils se chamaillaient. J'avais bien souvent recours à de la sagesse populaire pour les séparer. Il suffisait d'une simple phrase qui les mettait en colère tout les deux pour qu'ils arrêtent. C'était un des rares moments où ils étaient d'accord.

Peut-être était-ce dû à l'âge que j'avais, mais je n'étais jamais impliqué dans leurs conflits, ils me traitaient comme un ami tout les deux et je me vantais souvent d'être la seule chose qu'ils aimaient et osaient se l'avouer. J'étais de deux ans l'aîné d'Alwin, je possédais une sorte de pouvoir sur lui, peut-être le seul. Il écoutait mes conseils.

Pour revenir à la lutte qui nous rassemble en ce même endroit, je la sentais dériver vers un abattoir organisé. Mais pas en notre faveur. Je n'ai pas vraiment de don à l'arme blanche et je n'avais donc pas tellement envi de me jeter dans la mêler. Je fixais Charris d'un regard insistant.

-Charris... Il n'est pas digne de toi tu sais, de rester assise ici en laissant les autres s'amuser sans toi. Tu sais combien Alwin va être désagréable après ça s'il les bat tout seul...

Je savais pertinemment que je touchais une corde sensible de la jeune femme. Mais elle n'était pas idiote au point de ne pas voir ma manipulation grossière. Après tout, cela faisait bien trois ans que j'essayais de les réconcilier. Pour appuyer ma tirade, je lui adressais un petit sourire enjôleur.

Les ivrognes détalèrent comme des lapins et Alwin soupira légèrement, fin du jeu, tout était redevenu calme. En vérité, son tempérament tout feu tout flamme lui valait bien souvent de s'attirer des ennuis et s'il s'en plaignait quelques fois c'était avant tout pour parler d'autre chose car il ne rechignait jamais à une bonne bagarre. Son plus grand désespoir était tout de même d'affronter des poivrots incapables dont il ne pouvait tirer aucune fierté à les avoir massacrer.

Charris ota le peu de prestige qui lui restait. Certes, c'est lui qui avait appelé à la rescousse mais il ne l'admettrait pas, Charris l'avait privé de la victoire au moment même où il n'avait plus besoin d'elle. Cette fille était parfois d'une inutilité chronique... elle l'agaçait... il la haïssait profondément... non, pire que tout cela...

-Merci pour le coup de main Charris, ces abrutis auraient attendu que je ne leur laisse que les yeux pour pleurer avant de songer à déguerpir.

Bon d'accord, il ne la détestait peut-être pas tant que ça, mais quand même. Le jeune homme s'assit à la table où Jonas imperturbable observait la petite taverne. Le dos droit dans sa chaise, fier, il avait une certaine prestance qui faisait de lui un étrange mercenaire.

-Tavernier. Je prendrais un verre de votre meilleur vin.

Il commandait souvent du vin, rarement autre chose, et se plaignait tout aussi souvent de la qualité comme si il avait pu en gouter de bien meilleurs autrefois, lui, pauvre mercenaire. Il ne s'ennivrait jamais, ou presque jamais, jugeant cette acte bien indigne de sa personne; il pensait que l'on pouvait être mercenaire et tenir un certain rang, avoir des valeurs; ce qui ne l'empêchait pas de fréquenter parfois des filles peu convenables.

Il n'obéissait qu'à Jonas et à ses propres envies. Jonas était pour lui le plus sage de la bande, ce que tout le monde reconnaissait aisément, plus âgé de peu, moins costaud, plus petit, il était l'érudit et Alwin aimait l'écouter. Avec Charris en revanche les discussions finissaient bien plus souvent en véritables joutes verbales dont le gagnant était incertain. Il avait pour ses deux compagnons une affection sans commune mesure, fraternelle peut-être et ne supportait pas qu'on les importune; surtout Charris qu'il jugeait, en tant que femme, moins apte à se défendre elle-même.

Si on lui demandait depuis combien de temps ils parcouraient les terres, il répondrait bêtement depuis toujours. Peu lui importait les années, il menait la vie qui lui plaisait et c'était plus que largement suffisant. Son dernier compagnon, mais pas le moindre, était son cheval, un hongre d'un noir ardent aux reflets fauves qu'il entretenait avec une douceur et un amour qu'on ne lui attendrait pas et dont ses quelques compagnes de plus d'une nuit avaient été jalouses.L'élégance était pour lui un art qui au moins tout autant que le maniement de l'épée méritait qu'on l'entretienne.

Jonas trouvait indigne de lui de dégainer sa dague et laissait volontiers cette besogne à Charris et Alwin qui semblait apprécier cette comédie. Le jeune mercenaire avait la violence en horreur lorsqu'il s'agissait pour lui de s'investir dans une joute. Il était le genre d'homme gentleman aimant à asseoir sa popularité auprès des femmes en maniant le verbe plus facilement que le fer.

Il était réjoui que ses compagnons aient pu se défouler, mais il était conscient que ces bouseux reviendraient se venger en amenant quelques amis. Encore une fois, le caractère de feu d'Alwin leur imposerait un départ précipité. Il sourit. C'était bien ce mode de vie qu'il chérissait le plus. Avec le temps il avait appris à ne pas prévoir en détail leurs déplacements car un imprévu surgissait toujours au dernier moment.

-Tavernier, la même chose s'il vous plaît.

Ils vivaient au jour le jour depuis plusieurs années. A six, leurs vies n'avaient jamais été fastes ni pour autant miséreuses. Chacun cultivant son genre de relations de prédilection, ils avaient toujours trouvé un employeur lorsque au bord du gouffre ils s'inquiétaient pour leur lendemains. Les trois montures, présentes pour la plupart depuis le début de leurs aventures étaient devenues plus des compagnons de routes que de simples moyens de transports.

Le sien, un jeune Appaloosa, robuste, élégant et rapide, sa robe baie tachée de noire, lui tenait lieu de meilleur ami. Bien qu'il considéra Alwin et Charris comme son frère et sa soeur, il n'avait pour confident aucun être humain. Il cultivait son air mystérieux qui, d'après ses rares compagnes, lui proférait un charme fou.

-Alwin, quelle heure est-il? Notre contact ne devrait pas tarder à arriver.

Ils étaient descendu dans cette auberge sur ordre d'une missive d'un de leur plus gros commanditaires. Le trio avait opté pour une sorte de mécénat, ce qui leur imposait peu de boulot et une grande liberté tant qu'ils restaient joignables. Jonas étendit ses jambes sous la table, il serait bien sorti faire un tour dehors mais sa présence était exigée lors de l'entretien.
Il patienterait donc.

-D'un coup d'oeil dehors je dirais sans hésitation possible qu'il est presque le soir, mon cher Jonas! J'espère qu'il ne tardera pas...

Alwin fronça les sourcils d'un air songeur et contrarié avant de taper du poing dans le plat de sa main et de revenir vers la table où ses compagnons attendaient qu'il finisse sa phrase à peine commencée.

-Vous pensez que nous pourrons rester ici jusque demain?
-Une affaire...personnelle, Alwin?
-On ne peut rien te cacher! Il se trouve justement que j'aurais apprécié de me reposer comme il se doit, j'ai repéré une fille de joie que...
-Une putain oui...
-Charris, ne sois pas si condescendante! Le monde a besoin de ses femmes, si elles te ressemblaient toutes, Dieu, que les hommes comme moi s'ennuiraient!

La jeune femme allait répliquer lorsqu'Alwin lui fit signe de se taire d'un clin d'oeil appuyé destiné à lui faire comprendre que leur indic était en train d'arriver. Les trois compères se renfoncèrent contre leur dossier et attendirent que l'étrange bonhomme s'installe et prenne sa commande; lorsqu'il fut face à son verre de bière, ils purent enfin commencer leur discussion.

-Heureux de vois que vous vous portez bien.
-Pareillement.
-Nous nous porterions mieux avec une bourse plus que bien remplie à la ceinture.
-J'ajoute que ma bonne humeur me quitte depuis que l'on ne me donne plus l'occasion de pourfendre, d'éventrer, de massacrer quelque victime ignoble.
-Soit, je vois ce que vous voulez dire. Venons-en donc directement aux faits qui nous amène ici...
-Et à la somme qui me fera déplacer...
-Bien entendu....

Alwin étira un sourire satisfait, parler d'argent faisait de lui un homme heureux à défaut d'être riche. En effet, si les trois mercenaires étaient souvent bien payés Alwin avait une fâcheuse tendance à dilapider, de manière plus ou moins honnête, tout argent qu'il pouvait toucher lors d'une mission; aussi était-il en train d'imaginer mille et une façons de dépenser les quelques pièces qui rejoindraient pour un temps incertains sa bourse de cuir.

A sa gauche se trouvait Alwin, à sa droite, Charris. En face de lui, l'indic semblait à sa place, on sentait du vécu sous son assurance. Sûrement un homme de main de longue date.

-Comme d'habitude, vous êtes engagés tout les trois et vous vous partagez la somme que mon maître offre en récompense.
-Ne vous inquiétez pas, nous connaisssons la procédure et ce que nous faisons de l'or ne regarde que nous.
-Evidemment. Rendez-vous à Amon Elond, la ville la plus au Nord. Votre cible se nomme Tarbas, sa description est la suivante : Associé d'un éleveur de chevaux. il est plus grand que la moyenne, les cheveux et les yeux noirs. Il traîne souvent dans les bars, je doute que vous rencontriez des difficultés à le trouver.
- Bien, et que nous rapportera la tête de ce brave homme?

Jonas voulait pour lui et ses compagnons, une petite augmentation de leur qualité de vie. Il se doutait que pour Alwin, le dépensier, ça ne changerait peut-être pas grand chose, mais si le patron leur accordait ça, ce serait une marque de confiance à leur égard et ça lui assurerait leur fidelité pour un temps.

-Le tarif habituel, 500 pièces d'or.

Jonas posa ses coudes sur la table et sourit, il avait l'air d'un rapace à l'affut.

-Parlons justement de cette habitude. Il me semble que notre homme, ce Tarbas, ait une place importante dans la ville et sa disparition créera sûrement des tensions, mettant en danger notre propre sécurité.
-Que proposez-vous donc alors?
-Une petite prime, disons... 1000 pièces d'or?
-Le double? Ce n'est pas un ministre cet homme, et vous êtes remplaçable, des mercenaires sont faciles à trouver.
-C'est vrai, nous sommes remplaçables. Mais il est fort probable que nos successeurs soient deux fois plus gourmands que ma requête.
-Je vous donne 250 maintenant, retrouvez moi à l'auberge du Sabot Doré à Amon, d'ici là le patron aura pris une décision.
-Sans certitudes nous n'irons pas là-bas pour vous. Ne prenez pas les mercenaires pour des jouets inoffensifs.

Jonas fixait à présent l'homme en face de lui. La partie ne semblait pas gagnée d'avance, il avait besoin du soutien de ses deux amis. Il espérait qu'elle ne tarderait pas à venir.